Vitale ou pas, plus une ressource se tarit, plus elle aiguise les appétits. Pour preuve, l’or bleu de Californie fait son entrée à Wall Street. Pire, ce nouvel indice boursier pourrait devenir « une référence mondiale en matière de prix de l’eau ». Un précédent inédit et désastreux pour l’humanité.
L’eau, c’est la vie, dit-on. C’est aussi et surtout une manne financière inestimable pour les marchands de soif sans scrupules. Chicago Mercantile Exchange et Nasdaq annonçaient, le 27 octobre, le lancement prochain des contrats à terme (1) sur l’eau californienne. Une nouvelle étape dans la financiarisation de l’eau, consacrée pourtant comme droit humain universel par l’ONU.
Un produit financier, comme le pétrole ou le blé
La ressource vitale devient un produit financier qui rejoindra le pétrole ou le blé sur un des marchés les plus spéculatifs des places boursières « Les spéculateurs vont pouvoir pousser les prix vers le haut, en essayant de vendre plus cher ce qu’ils ont payé moins cher, mettant ainsi en difficulté des agriculteurs, des communes et leurs habitants », explique Pierre Ivorra, chroniqueur économique.
Les perspectives des métiers de l’eau », l’expert recommande un fonds dédié, tel que Pictet Water. Créé il y a vingt ans, ce fonds affiche un gain de 263 % depuis l’origine et de 15 % sur les douze derniers mois.
Des pionniers australiens aux dents longues
Les fonds d’investissement, en Australie, ont inauguré le marché de l’eau, comme un bon placement. Dans ce pays, particulièrement touché par le réchauffement climatique, chaque goutte d’eau compte. Les cours, variant au gré de la météo, ont gonflé les dividendes des investisseurs et causé la mort de nombreuses petites exploitations familiales.
Comment peut-on spéculer ainsi sur un produit naturel essentiel à la vie et à l’humanité ? « C’est hérétique. Les marchés financiers sont toujours prêts à faire tout, toujours plus loin », commente Emmanuel Poilane secrétaire général de France Libertés-Fondation Danielle-Mitterrand. Il rappelle que le PDG de Nestlé avait souhaité, il y a dix ans, voir se créer des contrats à terme sur l’eau, prétextant que « ce serait bon pour la planète, parce que ça permettrait de sécuriser la ressource ».
En 2010, l’ONU proclamait que « le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ».
Pourtant, en 2010, l’ONU proclamait que « le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Une première victoire dans la longue bataille pour le statut de l’eau, bien commun. Les Nations unies reconnaissaient ainsi la centralité de l’eau dans la réalisation d’autres droits.
Cependant, « entre une résolution onusienne et la mise en œuvre effective d’un droit, il y a un monde », explique Sylvie Paquerot de la Fondation Danielle-Mitterrand, professeure à l’université d’Ottawa. « Ce droit n’a pas remis en question le statut de l’eau, à savoir une vision purement économique, utilitariste et extractiviste, qui provoque la destruction du vivant et crée des fortes inégalités d’accès. Aujourd’hui, de plus en plus de droits humains sont conditionnés à la capacité de payer. » Pour la spécialiste, « les batailles de l’eau sont fondamentalement des batailles politiques et démocratiques ».
Droit à l’eau, la Bolivie et l’Équateur à la pointe
L’enjeu est civilisationnel. Il fait l’objet de fortes mobilisations populaires dans le monde entier. Le droit à l’eau a connu des avancées significatives lorsque l’Équateur, en 2007, puis la Bolivie, en 2009, ont inscrit dans leurs Constitutions, approuvées par référendum, « l’eau bien national commun soumis à un principe de non-marchandisation ». L’Équateur avait aussi défini la nature comme sujet de droit. La Nouvelle-Zélande a doté ses écosystèmes aquatiques de la personnalité juridique.
En Europe, des luttes sont menées régulièrement contre la marchandisation de l’eau. En 2012, la pétition européenne « Right to Water » a recueilli plus de 2 millions de signatures. La Commission européenne en a pris acte, sans pour autant que cela se traduise dans les faits. Le chemin est semé d’embûches pour faire du droit à l’eau une réalité, imposer que l’eau soit bien commun de l’humanité et du vivant, et surtout pas qu’elle devienne « l’or bleu », le pétrole du XXIe siècle.
À La Victoria del Portete, à une quinzaine de kilomètres de Cuenca, en Équateur, Carlos Pérez Guartambel assure qu’ils ne lâcheront pas. « Mes parents m’ont appris que l’eau et le feu se partagent et ne se vendent pas », raconte le président de l’Union des systèmes communautaires de l’eau de l’Azuay. Dans ce pays, la gestion communautaire de l’eau a été arrachée au prix du sang. Aussi, promet-il, « la lutte pour l’eau va être la lutte pour la vie ».
Par Latifa Madani
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